Entretien avec Silvia Costa

« Heureux de voir Silvia Costa s’emparer de « la pièce écossaise », la pièce qui porte en elle une sorte de malédiction théâtrale, « Macbeth », comme si les trois sorcières rencontrées sur la lande avaient inscrit au sceau d’un fatum païen l’exploitation de ce titre. Il y a dans la force de Silvia, dans sa lecture, dans son projet, de quoi contourner la malédiction tant cette lande semble lui appartenir, tant l’alchimie de son théâtre l’épouse. Jean-Pierre Vincent en 1985 avait donné une version dans la Cour d’honneur du Festival d’Avignon, nous aurons attendu longtemps l’occasion de nous y frotter à nouveau. » Éric Ruf

  • MACBETH d'après William Shakespeare, adaptation, mise en scène et scénographie Silvia Costa, du 26 mars au 20 juillet Salle Richelieu.
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Laurent Muhleisen_. Après avoir présenté la saison dernière une adaptation du roman d’Annie Ernaux, Mémoire de fille, au Théâtre du Vieux-Colombier vous choisissez pour votre deuxième mise en scène avec la Troupe Macbeth de Shakespeare. Qu’est-ce qui a guidé votre choix de Shakespeare, et de cette pièce en particulier ?_

Silvia Costa. J’ai une accointance particulière pour l’abstraction, pour tout ce qui échappe à la logique : j’aime me perdre dans des mondes irrationnels et Macbeth est une pièce où l’irrationnel est omniprésent. Les sœurs fatales, le surnaturel, le mal, toute cette part de mystère qu’on ne peut résoudre. J’y trouvais une voie féconde par laquelle m’introduire au sein de la pièce, la questionner, la traverser et l’imaginer différemment, sans prétendre en résoudre l’énigme.

Laurent Muhleisen. Vous signez une adaptation du texte qui se concentre sur les personnages principaux – le couple Macbeth mais aussi Duncan, Macduff, Banquo et, bien sûr, les trois sœurs fatales, amenées à prendre en charge autres personnages secondaires : leur fonction va être centrale dans votre spectacle.

Silvia Costa. Je souhaitais isoler des champs de force, notamment la complexité avec laquelle le masculin et le féminin circulent dans le couple Macbeth. Ces deux personnages n’en forment- ls pas qu’un ? Lady Macbeth n’est-elle pas un prolongement mystérieux, au plan de la psyché, de son époux ?Quant aux sœurs fatales, au-delà de leur rôle « traditionnel », elles occupent pour moi une fonction de « paysage ». Présentes en permanence, elles incarnent les coordonnées géographiques du mal. Ce sont des émanations de l’hallucination dont Macbeth est la proie : il meurt de n’avoir pas suinterpréter les signes et les apparitions qui se présentaient à lui. Cela tient au pouvoir de manipulation des sœurs fatales, mais aussi au fait qu’il déclare à tort ces symboles absurdes – l’homme qui n’est pas né d’une femme, le bois de Birnam qui se met en marche…Ilse contente d’une vision incomplète du monde en refusant d’accepter ses manques. Je souhaite que surgisse durant le spectacle l’idée de deux niveaux du monde, celui de Macbeth et « l’autre monde » – dont relèvent les autres personnages qui contribuent tous à ce shoot hallucinatoire exponentiel. Les sœurs fatales en sont les architectes. Elles se métamorphosent en permanence, en endossant par exemple le rôle de personnages dits de second plan. Elles font basculer la pièce dans une autre dimension, elles font continuellement avancer l’action et assument la responsabilité des meurtres, contrôlant en quelque sorte la psyché de Macbeth. Lady Macbeth participe elle aussi de cette hallucination sous l’emprise des sœurs fatales – comme si elle compensait les manques de Macbeth du point de vue de la pensée comme de l’action. Tous deux sont dans un système de vases communicants au sein du délire qui les submerge.

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Laurent Muhleisen. Les socles sur lesquels vous souhaitez faire reposer votre mise en scène sont de plusieurs ordres : il y a d’abord le pouvoir de l’imagination, mais aussi la déclinaison des dualismes – féminin/masculin, jour/nuit, culpabilité/innocence, hallucination/réalité, folie/raison…

Silvia Costa. Shakespeare écrit : « le clair est noir, le noir est clair » : Macbeth est l’antipode d’une pièce manichéenne, elle interroge l’équilibre entre les forces. Tout y est soumis à une dichotomie, dont nul ne réchappera. Un des enjeux de ma mise en scène est de faire ressentir au public la limite imperceptible entre la réalité et une sorte de folie. Ce qui nous retient de sauter lepas de la bestialité – notre part d’animalité brute – est parfois très ténu. Notre subconscient nous fait imaginer des actions que nous nous savons parfaitement incapables de commettre dans la réalité. En somme, nous nous retenons, ce qui n’est pas le cas de Macbeth, dans sa course au pouvoir. Le barrage a sauté, il ne peut plus s’arrêter. C’est à ce moment d’accomplissement du désir que commence la chute de l’humanité de Macbeth et de son épouse. Le mécanisme protecteur de l’inconscient, celui qui permet dev ivre « sainement », est brisé. Tout cela est encore accentué par le fait que ces deux êtres sont sans futur.

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Laurent Muhleisen. Leur course au pouvoir serait liée à leur stérilité ?

Silvia Costa. Oui, après eux, ce sera le vide. Ils n’auront pas réussi à s’inscrire dans une longévité, notamment parle biais de la procréation. La tragédie de Macbeth est l’histoire d’une transmission impossible. C’est, pour moi, lorsqu’ils associent leur soif de pouvoir à leur stérilité que Macbeth et Lady Macbeth en donnent le sens le plus vrai. Les meurtres qu’ils fomentent et commettent sont de l’ordre de la fatalité ; ils agissent par instinct de survie au sein d’une trajectoire marquée du sceau de la destruction.

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Laurent Muhleisen. Pourtant, la question de la culpabilité est très présente dans la dramaturgie du spectacle, au point qu’elle en influence fortement la scénographie et les costumes.

Silvia Costa. Vous faites référence à l’univers clérical? Macbeth est souvent considérée comme la pièce la plus chrétienne de Shakespeare Mais c’est à double tranchant car on dit que le dramaturge écrit à une époque qui voit la dissolution de l’ère chrétienne. Macbeth parle de l’effondrement d’un monde sur les ruines duquel va peut-être s'élever une aube nouvelle. La langue est fortement symbolique, bien plus que dans les autres textes que j’ai pu mettre en scène. Pour éviter la surenchère, j’ai pris le parti d’un espace qui soit en lui-même symboliquement fort. Comme dans l’ensemble de mon travail, j’accorde une grande importance à la plasticité, développant une dramaturgie visuelle qui passe aussi par les gestes, le temps, les costumes, les lumières, et le son. La particularité de ce spectacle sera d’être extrêmement sonore, notamment dans sa dimension mentale et en particulier pour Macbeth. Cessons voyageront dans la tête du personnage en débordant dans l’espace entier.

Laurent Muhleisen. Votre mise en scène joue beaucoup sur la durée, le temps dilaté, les retards, les contre points et les contretemps, sur la voix séparée du corps, sur le détail qui grossit jusqu’à prendre toute la place : à l’instar de ce passage du banquet lors duquel les messes basses et autres apartés du couple Macbeth finissent par devenir le centre de la scène… Est-ce votre manière de répondre à la violence du texte shakespearien ?

Silvia Costa. J'ai l'impression que, face à la violence, Shakespeare nous laisse le choix : soit la reproduire sur scène et ainsi la perpétuer, soit trouver notre propre façon d’habiter ce monde… Et sous la violence apparente point aussi un humour féroce, une ironie immense qui confine parfois à l'absurde...

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Laurent Muhleisen. En définitive, la pièce relèverait-elle d’une critique de la volonté de toute-puissance, illustrerait-elle, s’il en était besoin, l’absurdité de cette quête dans le contexte de notre propre finitude, de la nature même de notre inconscient, de notre incapacité à pouvoir tout interpréter, tout résoudre ?

Silvia Costa. La pièce a une dimension critique forte de ce qu’on nomme aujourd’hui l’anthropocène – pensée qui, en plaçant l’humain au centre du monde, a contribué à légitimer la domination des être set la destruction du vivant. Croyant être en mesure de tout gouverner, Macbeth se retrouve confronté à cette « mise en scène » des forces de la nature qui nous échappent et nous dépassent. À la fin, Macbeth est vaincu par la forêt… Ce qui m’intéresse particulièrement ici, c’est la mise en perspective de trois valeurs, l’index, l’icône et le symbole. L’index renvoie à un signe propre à l’instinct animal. L’icône concerne ce qui existe en soi, qui se suffit à soi-même ; quant au symbole, il offre une gamme d’interprétations possibles infinie. Macbeth illustre parfaitement la cohabitation de ces trois valeurs. Il y a là une sorte de tremblement à l’image du monde dans lequel nous vivons. Mais Shakespeare, s’il semble envisager que nous devons laisser la forêt avancer vers nous – avec la peur qui s’ensuit –, n’en dit pas moins que nous pouvons encore chercher à comprendre. Là est son génie, faire trembler le public tout en lui laissant la possibilité d’être à l’écoute, et de réfléchir, encore. C’est ce qui fonde notre humanité.

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Entretien réalisé par Laurent Muhleisen conseiller littéraire de la Comédie-Française

  • Photos de répétitions © Christophe Raynaud de Lage
Article publié le 21 mars 2024
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